Aphex Twin - Créateur incompris ou génie des alpages? (French)

Il est bien difficile de tarir d'éloges à l'égard d'un acteur majeur dans la création musicale depuis plus de dix ans, l'un des plus grands schizophrènes du monde musical, j'ai nommé Sir Richard D. James. Et pourtant après l'écoute de Drukqs, son 7e album, quelque chose s'opère, un débat interne s'enclenche.

Voici des lustres que cet artiste interpelle toujours plus de monde, rassemble les publics, élargit son auditoire bien au-delà des simples fans de musiques électroniques, avec des expérimentations originales, intéressantes par leur étrangeté et parfois franchement captivantes il faut bien le dire. Mais jusqu'où cette évolution doit-elle nous fasciner ? Ne risquons-nous pas de perdre notre libre arbitre lorsque la quasi-unanimité est faite autour d'un personnage quasi sacralisé ? S'agissant ici de musique abstraite, au sens d'expérimentale, ne se référant à aucune tendance, aucune norme, il est difficile de faire appel à ses repères habituels. Alors forcément, on tient compte de la critique, des avis, et puis il peut arriver que l'on perde de l'objectivité, de la neutralité. Alors doit-on forcément se gargariser du nouvel album d'Aphex Twin ?

Salle de torture ?
Ici, le radicalisme, poussé à son paroxysme sur tous les titres, maintient la tension en continu, malgré la présence de fréquents interludes ambient. Pas de compromis, donc, dans une guerre intersidérale où sons industriels et break beat déstructurés s'affrontent à coup de rafales jungle hardcore. Et puis lorsque le cyclone s'écarte, c'est pour laisser la place à un calme franchement inquiétant. Une atmosphère pesante, donc, matérialisée par des expérimentations sonores torturées, dépourvues de tout beat, où des sons métalliques aigus déchirent le vide sur fond de résonances d'infrabasses saturées… Bienvenue dans l'univers hanté du professeur Aphex, plus barré que jamais, où retentissent des hurlements de femmes terrorisées. Sommes-nous enfermés dans une salle de torture ? Non, on nous diffuse simplement la bande-son des cauchemars d'un homme, un surangoissé. On est alors pressé de réentendre les passages aux rythmiques surchargées, tellement ce vide nous glace.


« Où se trouve la limite entre musique et bruit ? »


Hermétisme
Ainsi, l'ambiance générale est particulièrement sombre et inquiétante, y compris lorsque le compositeur semble vouloir nous reposer l'esprit avec des mélodies au piano. Mais la simplicité et la tristesse de celles-ci ne font, en fait, qu'exprimer le seuil de déprime atteint par un génie, pétri, visiblement, d'un profond mal-être (comme c'est souvent le cas chez les génies) et dont l'œuvre, cette fois, est totalement inaccessible (soyons franc). Difficile de s'extasier, donc, devant un tel hermétisme. Difficile aussi de cerner la démarche de l'artiste car contrairement à d'habitude, la plupart des compositions de cet album ne touchent pas. Certains morceaux, bien que très travaillés, semblent même d'une pauvreté déconcertante. Pourvu que notre génie ne s'enferme pas trop longtemps dans cette démarche très personnelle…

La marginalité, oui, mais…
Alors, véritable névrose ou bien prise de parti délibérément radicale en réaction à la tendance ayant consacré le down tempo sirupeux et autre deep – « funky-jazzy-latino » – house, accouchant de la mode désormais incontournable du Lounge ; peut-être est-ce tout simplement les deux à la fois ? Car il faut bien l'admettre, la musique électronique se démocratisant à vitesse grand V, elle ne tend pas à se radicaliser (en tout cas pas au niveau des stars dont fait évidemment partie Aphex Twin). Alors pour ou contre la musique « barrée », en tout cas une chose est sûre : une fois encore c'est outre-Manche que l'on prend le plus de risques. On répondrait : « oui mais faut-il remplacer trop de lounge et de house commerciale par du bruit ? », alors le grand débat sur l'art contemporain (musique concrète…) est relancé. Où se trouve la limite entre musique et bruit ? Existe-t-il seulement une frontière ? Mais tout de même, lorsqu'un disque ne fait que casser les oreilles la question « est-ce bien nécessaire ? » surgit chez beaucoup. La marginalité, oui, mais lorsqu'elle apporte quelque chose de nouveau, d'inédit, ou, en tout cas, lorsqu'elle procure au moins une émotion…

Une œuvre qui refroidisse…
Et si ce cher D. James avait lui-même concocté tout ça, lassé d'un succès démesuré qui l'ennuierait. Le roi du vice aurait donc poussé sa malice jusqu'à créer une œuvre qui refroidisse, qui restreigne une unanimité dérangeante ? Finalement, le maître de l'underground souhaite peut-être rester underground à l'heure où ses expérimentations passées sont presque devenues la norme, en tout cas une mode.

Written by Luc Demont from Amazon